Un collègue Auror: "Pourquoi il est toujours au Ministère, celui-là? C'est n'importe quoi, il fout jamais rien! Virez-le, mais virez-le, bordel!"
Comme si Aaron aimait son boulot. Oh, c'est vrai, il l'a aimé pendant un temps. Il aimait vraiment ça, se rendre chaque jour de sa foutue vie au Ministère, et risquer sa vie pour des ingrats, à chasser des mages noirs toujours plus puissants. Il avait tellement admiré ces courageux combattants qui oeuvraient dans l'ombre pour sauver des vie; à Poudlard, ils étaient ses héros. Mais voila, quand on passe de leur côté, on se rend compte que rien n'est plus aussi excitant. Plus rien n'a d'intérêt, la lassitude est trop forte, et on se prend à vouloir être partout sauf ici. La monotonie est la seule chose qui motive un tant soit peu Aaron à ne pas poser enfin une démission que tout le monde apprécierait.
Sa mère: "C'était un garçon si gentil... Je ne comprends pas pourquoi tout lui est tombé dessus comme ça... Il était si gentil..."
Ah, sa mère. Idôlatrée, vénérée, symbole de sa jeunesse enfuie... Aaron l'aimait, c'est un fait. Mais elle a abandonné les siens à la mort de Amy, la soeur d'Aaron, et depuis, rien n'est plus pareil. Ils ne se voient plus, ne se sont plus parlés depuis des années, et il ne se tracasse pas à se demander ce qu'elle devient. Elle a même eu une autre famille de son côté, en France... Ce qui veut dire qu'elle l'a oublié. Petit à petit, Aaron l'oublie aussi, mais il est incapable d'oublier la dizaine d'années de bonheur, en Ecosse... Le début de sa vie...
Sa cousine: "C'est tellement bête ce qui lui est arrivé... Plus personne ne le reconnaît, maintenant."
Boarf, elle peut la ramener, elle! Qui l'a vraiment connu, hein? Et qui se vante de l'avoir déjà reconnu...? Aaron pense parfois avec une laconie peu coutumière que sa famille n'est finalement... qu'une bande d'inconnus de plus, des visages perdus dans la foule... des mirages. Et elle aussi. Avec son frère, elle ne s'est jamais soucié de son devenir, malgré tous les "bouhhhh le pauuuuvre, c'est bêêêête!". Pfeuuh...
Son père: "Un incapable, un gros tas de fainéant! Moi, à son âge, il m'était arrivé vingt fois plus de malheurs, et est-ce que je suis alcoolique, hein? Est-ce que je fais chier mon monde depuis 10 ans avec ma dépression?! Il s'en remettra, va! Il s'en remettra!"
Ouais, bah il peut parler aussi, lui! Finalement, et malgré toutes les réticences d'Aaron a se l'avouer, ils sont les mêmes. Dans les mesures exactes. Ils ont vécu la même vie sinistre, les mêmes deuils, les mêmes abandons. Un enfant perdu, voila qui peut bouleverser une vie à jamais. Et quand l'Auror observe son père, ses rides profondes, son visage brut et mauvais, à la limite du sournois, constemment plissé, constemment lugubre, et qu'il se rend compte que cet homme est aigri et laid, qu'il n'inspire que de la crainte, voire du dégoût aux autres... Il a peur de finir comme lui. Hé bien, oui! La même vie à quelques glauques détails près, donc le même devenir... Aaron a peur d'être ce vieil homme reclu et amer, dans son cottage écossais, et pourtant, il sait très bien que c'est ce qui l'attend. Dommage.
Sa directrice de maison à Poudlard, Minerva McGonagall: "Aaron Millers... Bien sûr que je me souviens de lui. C'était un très bon élève. Son seul défaut serait peut-être son tempérament de tête d'hippogriffe! Il faut juste savoir comment l'aborder..."
Un bon élève, ummh? Aaron s'en souvient à peine. Pourtant, l'époque de Poudlard est pour lui son plus éclatant, son plus brillant souvenir, et en se replongeant dans ce temps-là, il peut à nouveau contempler ce qu'il était, avant. Avant les guerres, avant les pertes, avant tout ça. Et Aaron aime ce jeune homme capricieux et borné, qui rêve de la lune et des étoiles en plein jour. Il en vient à admirer le bellâtre et ses conquêtes des bals bâclés, le fougueux frimeur qui croit que le monde lui appartient. Et de plein droit. Quelle sensation étrange cela avait du être! D'être fier et confiant, d'être certain d'un avenir somptueux, pas à cause de prédilections abracadabrantesques, pas à cause de soit disant capacités vantées pendant les examens, non. Etre certain de son avenir simplement parce que l'on sait. Simplement parce qu'on est persuadé à juste titre que les échecs, on ne connaîtra jamais, qu'on refusera jusqu'au bout de courber l'échine, et parce que, merde, on sait très exactement ce qu'on est et ce qu'on vaut. Et à l'époque, Aaron Millers vaut mieux que ça, vaut mieux que tout, que tous, et que lui. Il a toujours admiré sa directrice de maison - comment ne pas le faire? C'était plus que du respect, c'était plus que de l'entente: il l'aimait beaucoup, et c'était tout. Bien entendu, étant de la génération de Potter & Co, Aaron lui en a certainement fait voir de belles... Mais ce n'est pas si important. Quand on prononce son nom devant lui aujourd'hui, Aaron espère juste qu'elle finira par étrangler Rogue dans son sommeil. Gryffondor pawa. Ben oui, tiens, Gryffondor! "Les plus hardis et les plus forts" ! Autrement dit, l'épitaphe qu'avait un jour espéré Aaron. Quelle autre maison aurait bien pu lui convenir? Gryffondor, tout comme McGo', c'est plus que les apparences futiles et les préjugés à deux Noises cinquante. C'est un état d'esprit, une attitude, des principes et des croyances véritables. Ca fait grandiloquent, hein? Et pourtant! Aaron fut un lion, et un lion vorace, avide de sa jeunesse et de ce qu'il croyait être un éternel bohneur. D'ailleurs, quand il était plus jeune, son patronus avait la forme du noble animal... C'est si lointain, tout ça.
Son ex-femme: "Un drôle de specimen... et j'ai peine à le dire, mais il fut mon mari!"
Ca va, vous êtes cramponnés à vos bretelles, là? Parce qu'il y aurait besoin de plusieurs pages, de plusieurs cahiers, de plusieurs salles pour contenir les casiers contenant les cahiers contenant les pages de cette unique histoire d'amour. Roméo et Juliette, en plus sanglant, en plus amer. L'histoire infinie, qui jamais ne s'arrête, qui jamais ne s'érode, qui s'oublie simplement, comme on oublie un visage, perdu dans la foule. Rentrée scolaire d'il y a plus de 20 ans. Elle est l'une des premières à être appelées. Aaron ne la regarde pas comme il la regardera plus tard, comme si toute sa vie était contenue dans l'ovale de ses yeux bleus, comme si la peur de la perdre était plus présente encore que la joie de l'avoir à ses côtés. Stressé comme tous les autres, il ne pense même pas "mignonne", et pourtant elle l'était, et son nom reste dans son esprit jusqu'à que "Millers" soit appelé. Une seconde sur son crâne brun, et Gryffondor il fut. Il ne lui parla pas, ne fit pas sa connaissance. Pourtant perdre son temps à aller vers les Serdaigle si rigoureux et si chiants quand les Rouge et Or nous ouvrent leurs portes de V.I.P? Non, leur vraie rencontre, c'est plus tard, bien plus tard. Elle n'est pas sa première, la jolie ingénue, mais elle est la dernière, et elle le restera. C'est comme ça! C'était si fort, si prenant, à en scotcher les tripes tout au fond du gosier, à en faire valdinguer les préjugés hypocrites d'Aaron concernant l'amour, l'amouuuur, dont il se moque constemment. Coup de foudre dans la gueule, et pan, sans le voir venir. Elle était belle, intelligente, et elle était innaccessible. C'était ça, le plus intéressant. Pour elle, il n'était que le flambeur complètement con et à côté de la plaque, celui qui se la pétait autant que Potter pour subtiliser sa gloire et le charme de Black. Et puis, il n'était qu'un vulgaire Sang-Mêlé venus des griffons, totalement à l'Ouest, pour elle. Ils n'avaient pas les mêmes vérités, pas les mêmes rêves, pas du tout le même destin, et pourtant, pourtant, Aaron le sut immédiatement, sans expliquer comment, comme c'est toujours le cas pour ces histoires-là, parce qu'on le sent au fond, là, juste près de l'estomac, on le sait, on le sent, et c'est implacable: elle partagerait sa vie, infiniment plus encore, et serait tout. L'égérie du bonheur, le symbole de la joie, l'apothéose de l'extase desservie dans ses mains... Mais elle ne le savait pas encore. Bien entendu, à l'époque, Aaron ne pensait pas tout cela, cette philosophie de vieil homme que gangrène le désespoir. Il se disait simplement "celle-là, je l'aurais", en ne sachant pas, ou en le niant, qu'il l'aurait à jamais. La difficulté l'intéressait plus que tout. Marre des cruches sans queue - encore heureux - ni tête, blondes jusqu'à leurs sourcils et leurs cerveaux manucurés (demandez pas comment, un truc de nana, sans aucun doute). Marre des Stacy et des Courtney, marre des so British, so glam', des Poufsouffle en bas âge mental qui répétaient leurs formules en les agrémentant d' "abracadabra hi-hi-hi'. Là, en face de lui, dans son uniforme bleu et bronze qui lui jetait un regard indifférent, il avait une A*****, une vraie diva, une Sang Pur, une poupée de porcelaine dont l'air si fragile était un mirage - il ne le savait pas encore tout à fait. Qu'il avait envie d'être le bras protecteur de cette jouvencelle à l'air froid, d'être le miroir, d'être le désir, de savourer le plaisir de l'avoir rien qu'à lui. A Poudlard, l'espérance de vie des couples est si faible qu'il n'a même pas crainte de faire baisser son potentiel de dragueur, alors il tente le coup, et se ramasse énormément de rateaux. La frustration est là mais jamais ne l'emporte, et malgré les moqueries et les divers noms d'oiseaux que lui colle ce cher A******, Aaron répète "je l'aurais". A l'époque, il avait l'impression d'être le paysan sans rien d'autre à offrir que lui-même qui va conter fleurette tous les jours à la princesse, en haut de sa tour, qui agite d'un air neutre son mouchoir brodé de blanc. Et ça le faisait rire, car sa réussite n'en serait que plus croustillante, ça le faisait rire... Ca le ferait pleurer, maintenant, car cette pensée qui l'amusait se révèle aujourd'hui si exacte que c'en est troublant. Oui, il est le paysan, au Sang ignoblement mêlé, mais toujours aussi rouge que le sien, et elle... Lointaine. Il ne sait plus quand est-ce qu'elle céda enfin à ses attentes. La même année, ça, il en est certain, mais sans doute pas le même mois. Premier baiser volé dans le parc, près du terrain de Quidditch, malgré son odeur de terre et de pluie sous sa robe écarlate pour les entraînements, à en laisser tomber sa batte, à en saisir le dos, à en caresser les cheveux doux et à la douce odeur, douce odeur, peut-être du lilas, ou non, de l'aubépine, ou de la rose, ou tout cela à la fois... L'odeur de l'amour, et puis voila.
Sa fille: "Mon papa...Je connais pas mon vrai papa... Alors mon papa à moi, c'est Charles!"
Le gérant d'un bar mal famé près des docks de Londres: "Millers? Oh, ouais, j'le vois souvent, héhé. Boarf, il parle pas beaucoup. Il boit. Et il est toujours là. S'il est pas là, c'est qu'il a pas eu la force de marcher jusque là... Vous le trouverez peut-être dans une poubelle à la sortie... Suivez les traces de vomi et l'odeur de whisky..."